Pour nous, la date de naissance, c’est simple : un jour, un lieu, une heure. Quand t’es né au Maroc avant 1960, c’est un peu plus complexe…
Mes quatre grand-parents sont nés dans la région de Tafraout (pour ceux qui ignorent où ce village archi connu se trouve, c’est à 170 km au sud d’Agadir, perché dans les montagnes de l’anti-Atlas). Ils savent parfaitement qu’ils sont nés dans leurs maisons de famille, qui leur a coupé le cordon ombilical, quelle femme a aidé leur mère à accoucher, et à quelle période (saison, moment de la récolte, conditions climatiques particulières, heure de prière…), mais pour avoir plus de précisions, c’est peine perdue : il n’y avait pas d’état civil à cette époque dans ces contrées lointaines. Cela m’a d’ailleurs valu une humiliation totale en CE2 quand la maîtresse nous a demandé de faire notre arbre généalogique : “Leila n’a rien compris au devoir demandé. Elle n’a mis aucune date de naissance ou de décès”…
Ce n’est que vers l’âge de 10 ans que les autorités françaises ont débarqué dans leurs villages pour leur donner une date de naissance approximative : “toi, t’as une tête à être né en 1935. Pour toi, je dirais plutôt 1920 et toi là-bas, t’es plus costaud, alors disons 1921”. Mais bon, pour le jour de naissance, l’administration n’avait pas trop de suite dans les idées : mes grands-parents, comme plein d’autres indigènes de la région, sont tous nés un 1er janvier.
Le petit Mohamed, mon père, est né en 1955 à Casablanca (notez l’ascension géographique sur 3 générations : Tafraout, entre montagne et plaine > Casablanca, entre médina et Atlantique > Seine-Saint-Denis, entre le périph’ et la A86).
Lorsque son père est allé l’inscrire à l’état civil de Casa, tout s’est passé comme une lettre à la poste, sauf que là, on parle de poste marocaine…
En 1986, après plus de 10 ans de présence sur le territoire français, des heures à faire la queue dès 4h du matin devant la préfecture de Bobigny, un mariage et deux enfants plus tard, mon père demande la nationalité française à 31 ans.
Ce qui devait être son French Dream s’est transformé en Moroccan Nightmare quand il a compris que l’officier d’état civil marocain s’était tout simplement gourré à sa naissance : il a écrit 24/11/1955 sur le livret de famille et 24/12/1955 sur le registre d’état civil.
Finalement, grâce à un juge marocain qui a tranché que la fausse date de naissance de mon père serait désormais celle à utiliser, mon père a enfin pu déposer son dossier de naturalisation et devenir Français.
En réalité, il est né le même soir que Jésus (quand on nous fait croire que les musulmans rejettent les chrétiens…) et c’est pour ça qu’il a un destin incroyable !
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